Attachante, l’intrigue de La route de Chlifa. Elle commence à Montréal où, Karim, un jeune immigrant « nouvel arrivant », bouleverse son entourage à l’école par son silence énigmatique. Perçu comme une étrangeté à ses camarades de classe, son mutisme s'avère une réaction au drame vécu dans son pays d’origine, avant son arrivée au Canada.
Dans la seconde
partie du récit, l’auteur fait un retour en arrière pour raconter les
circonstances qui ont poussé la famille de Karim à venir s’installer à
Montréal. Dés lors, le lecteur est emporté
dans un espace et un temps différents où le point de vue du narrateur
semble être brouillé par ce milieu qui lui est inconnu. Dans cette partie, on
suit les détails de la vie de Karim qui a basculé soudainement à cause de
l´éclatement de la guerre au Liban.
Les étapes se
succèdent rapidement, on passe d’une atmosphère relativement paisible,
à une étape de guerre sanglante, causant la mort de la famille Tabbara, dont
Nada, la petite amie de Karim. Ce point
culminant du récit va déclencher les péripéties de la fuite des jeunes enfants,
Karim accompagnant Maha et son petit frère, les seuls survivants de la famille
Tabbara. Les protagonistes franchiront plusieurs obstacles en traversant
clandestinement des plaines et des montagnes aux paysages bucoliques évoquant
la nostalgie du temps passé et de la paix perdue. Malheureusement, juste au
moment où ils allaient atteindre le village de Chlifa, Maha sera brutalement
tuée.
Dans la partie
correspondant au séjour de Karim au Liban, on note les petites imperfections de
la narration, ce qui montre que l’auteure québécoise n’est pas familière avec
les lieux et la culture libanaise. En effet, Michèle Marineau fait beaucoup
d’effort pour reproduire le parcourt de Karim. Elle ajoute une carte géographique du pays, elle
questionne des immigrants libanais à Montréal, ainsi que des élèves et des enseignants
qui ont été en contact avec les nouveaux arrivants. Malgré ses recherches, et tel qu´elle le précise dans sa note, elle a du mal à décrire
les détails du milieu social de ce pays meurtri divisé par de nombreuses
religions.
En effet, il est
bizarre de constater qu’à la suite du décès de la famille Tabbara, personne
n´est venu à la rescousse de Maha et de son frère, ce qui est inconcevable dans
le panorama social libanais, où tout le monde, familles, proches, voisins et
amis, s´entraident dans de pareilles circonstances. A part la Croix Rouge, n’y
avait-il que le jeune Karim, âgé à peine de 17 ans pour se charger d´une
fillette de 12 ans et d´un bambin de 6
mois?
D’autant plus,
la peur et la tristesse de Maha semblent être banalisées. A la grande surprise
du lecteur, au lendemain de la mort de sa famille, Maha agit indifféremment,
elle répond à Karim « d´un ton égal », elle lui raconte ce qui s’est
passé « d´une voix claire et unie».
Tout au long de l’histoire, on est confus quand à l´attitude de la
fillette de douze ans, parfois, on pense qu´elle est un monstre dépourvu de
sentiments, tantôt, on la considère courageuse et déterminée. Mais, sans aucun
doute, le narrateur met sous silence les émotions étouffées de Maha face à la
tragédie qui l’a frappée. Rien n’évoque
sa douleur de petite fille qui a perdu ses parents, sa maison, son
enfance; et qui, de plus, se trouve seule, en pleine guerre, responsable de son petit frère.
La rencontre
avec Antoine Milad et l´attitude détachée de ce dernier envers Karim et Maha
est un autre point invraisemblable à relever. En tant que journaliste, ami du
père de Karim, Antoine réagit d´une manière impensable face à la décision des
jeunes gens de traverser la montagne à pieds pour aller au Békaa, pendant que
les obus s’effondrent sporadiquement sur la région. De plus, il leur fournit
une carte pour guider leur trajet, sans offrir de les accompagner, ou au
moins, de les envoyer avec une personne de confiance, ce qui est la norme au
Liban. A mon avis, Antoine n’agit pas en adulte responsable qui s´inquiète du
sort du fils de son ami. Au contraire, M. Antoine Milad est représenté comme un
personnage typique des films de sciences fiction. Il joue le rôle robotique de
facilitateur des péripéties, et ne s’engage pas activement dans l´histoire.
En suivant le trajet pédestre des jeunes gens vers la Békaa, on est transporté dans un
paysage champêtre décrit dans un roman rural d’un siècle révolu : dormir á
la pleine lune sous une tente, se nourrir de fruits et de plantes au milieu de
la nature, se baigner dans un ruisseau d’eau douce, apprivoiser une chèvre
égarée et la traire pour donner son lait au petit garçon. Bien que ces détails
allègent l’atmosphère tendue de la
violence, ils sont irréels et ne peuvent pas représenter le comportement de
jeunes libanais durant la guerre. Karim
et Maha ne cherchent pas à s’aventurer dans une excursion ou une sortie de
camping, comme on a l’impression de le penser en lisant ce passage, mais ils
sont bel et bien dans une situation
difficile, où ils sont supposés être secourus et accompagnés par un adulte,
d’abord pour se protéger des bombardements et ensuite pour fuir le pays en
rejoignant les parents de Karim au Canada.
A la lecture des scènes représentant la vie de Karim à Montréal, au début et à la fin
du récit, on relève les thèmes
psychosociaux familiers tel que la discrimination contre les étrangers,
l’intimidation entre les jeunes, la
pression exercée par les pairs et divers problèmes reliés aux adolescents. Ce n’est que dans ces scènes,
relatives à la vie montréalaise, que le
récit semble plus solide et proche de la réalité, parce qu’il décrit la vraie situation d’un adolescent arrivé nouvellement au pays d’accueil. Mais, tout ce
qu’il a vécu avant son arrivée lui appartient, personne ne peut reproduire sa
vérité telle quelle, ou se mettre à sa place.
Ainsi, La Route
de Chlifa, reste une tentative courageuse de la part de Michèle Marineau de
décrire la réalité des immigrants à Montréal, telle que perçue par les
canadiens, de comprendre la psychologie des jeunes, de rapprocher les points de
vue et de concilier les différences socioculturelles.
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