Hommage à un Orient défunt
Dans son roman Les Désorientés, Amin Maalouf brosse le tableau de l’Orient tel que perçu aujourd’hui. Ce n’est plus l’Orient chanté par les poètes d’antan, ni celui recherché par les voyageurs du XIX siècle; ce n’est plus la source de la « lumière » baptisée en latin « Ex Oriente Lux », ni le lieu désigné de la sagesse et de la spiritualité. C’est plutôt, une région vaincue et souffrante dont les habitants égarés quittent sans savoir quelle direction prendre.
Le
narrateur omniscient raconte l’histoire d’Adam, un historien qui retourne à son
pays natal sous la demande de son ami mourant. À son tour, Adam écrit la chronique de son retour
au pays tout en se remémorant des moments
passés avec ses amis, qu’il essaie de réunir à la suite de l’enterrement
de leur ami commun. Les notes d’Adam sont des réminiscences du passé, truffées
de commentaires sur les problèmes vécus dans la région du Moyen-Orient : la
guerre, l’exil, les conflits politiques et le radicalisme religieux. Le
narrateur/historien fait plusieurs allusions à la perte historique infligée aux
peuples d’Orient vaincus depuis la première guerre mondiale et même avant (voir
la discussion avec Nidal p. 363-372).
Au-delà de
l’histoire, le pays décrit par Maalouf symbolise l’état de l’homme un peu
partout dans le monde « déréglé » d’aujourd’hui. En fait, de par son
nom, Adam rappelle le père légendaire de l’humanité tenté par Ève, représentée
dans le roman par son amie Sémiramis, dont le nom est aussi emprunté à une
reine légendaire de Babylone. D’autant plus, les amis d’Adam sont des spécimens
de l’humanité, plus précisément, des répliques des multiples communautés
occupant les pays d’Orient : Naïm, Bilal, Ramez, Ramzi, Albert, Mourad. L’appartenance
identitaire de ces personnages est liée à leur religion, « identité meurtrière »
et seule raison d’être, paraît-il dans ce pays de guerres qu’ils ont quitté. Le
pays en question n’est pas nommé une seule fois dans le récit. Est-ce pour
éviter la malédiction, ou pour préserver l’aspect légendaire de l’histoire? On
ne le saura tant que le personnage, Adam, ne nous révèle la fin de son voyage. Ce
qu’il ne pourra pas faire, malheureusement!
Ainsi, la
« légende » est clôturée abruptement par la voix du narrateur
omniscient qui laisse le lecteur en attente face au destin d’Adam, qui est « en
sursis… comme son pays, comme cette planète […] comme nous tous » (p.
526).
Ce roman est
définitivement riche en thèmes et en style. Pour l’auteur, c’est un voyage de
retour vers la source, mais, aussi une invitation adressée au lecteur pour
revisiter l’Orient afin de tenter de sauver les vestiges d’une civilisation « qui
s’éteint » (p.11).